Super-apps, bourse et savoirs tacites - C'est nous le futur #2
Bonjour à toutes et tous !
Voici la deuxième édition de C’est nous le futur, la newsletter pour penser l'impact des technologies sur le futur de la société. Un menu équilibré :
quelques tendances de fond qui disent quelque chose du monde qui est en train de se dessiner
un focus sur un concept intéressant
et des petites news pour être au courant des sujets du moment qui touchent de près ou de loin aux nouvelles technologies.
J’espère que ça vous plaira !
C’est quoi le futur ?
📉 La fin de la bulle des entreprises Tech en bourse ?
Depuis le début du premier confinement, les entreprises Tech ont vu leur valorisation boursière exploser, pour atteindre des sommets en novembre 2021. Depuis le début du mois de janvier 2022, elles ont cependant connu une correction.
Aux Etats-Unis, le plein emploi est de retour et l’inflation bat son plein, la FED a donc annoncé qu’elle allait augmenter ses taux directeurs à partir de mars, déterminée à combattre l’inflation. C’est le début de la fin des injections de liquidités massives, d’où la prudence des marchés. Dans la semaine qui vient, les entreprises Tech vont annoncer à tour de rôle leurs résultats financiers de l’année 2021. En fonction des résultats et en particulier de leur rentabilité, leurs valeurs boursières pourraient repartir à la hausse ou continuer de dégringoler. Le Nasdaq a par exemple fait un rebond vendredi soir après l’annonce des earnings de Microsoft, meilleurs que les prévisions des analystes.
📲 La stratégie des “super-apps” : SNCF Connect, Alan…
La SNCF vient de lancer SNCF Connect, sa nouvelle application/son nouveau site Internet qui vient remplacer Oui.sncf. La volonté affichée est de simplifier les choses (ça ne fera sûrement pas de mal) et de rassembler en un même endroit un maximum d’offres de transports. SNCF Connect intègre donc désormais également l’info trafic et les trajets du quotidien, comme le faisait jusqu’ici la seconde application de la SNCF. Reste à voir si la promesse sera remplie. Le plus déroutant de prime abord semble être le choix du “no navigation” pour se déplacer dans cette app aux multiples possibilités : au lieu d’utiliser un menu classique, tout se fait via un champ de recherche “libre”… dans lequel on ne sait pas vraiment quoi taper pour réserver un billet de train.
Cette stratégie d’agrégation de services dans une même application fait écho à celle de nombreux autres acteurs, tous secteurs confondus… Dans sa Letter to shareholders du 25 janvier 2022, le CEO d’Alan Jean-Charles Samuelian-Werve affiche clairement sa volonté : “We are building the health & well-being super-app”, car selon lui “companies that aggregate the demand are the best positioned in the market”. Pour Alan, l’offre de mutuelle santé n’est qu’un “wedge”. C’est-à-dire (comme le définit Lenny Rachitsky dans sa très bonne newsletter) une stratégie pour devenir leader sur un gros marché qui peut passer par la capture d’une grosse partie d’un petit marché adjacent.
Dans la même lignée, Swile a commencé par les tickets restaurants, puis s’étend petit à petit à tout ce qui concerne toute l’expérience des employés (cartes cadeaux, forfait mobilité durable…). Ou encore Uber et son “operating system for everyday life” (VTC, vélos, trottinettes, scooters, transports en commun, livraison de restaurants, …). Ou même toutes les néo-banques, comme Lydia qui se présente désormais comme “la super-app pour votre argent”.
Les super-apps ont d’abord émergé en Asie, avec par exemple le succès de WeChat en Chine. Dans le monde occidental, aucune application n’a encore vraiment réussi à atteindre ce statut. Les réseaux sociaux tentent parfois leur chance. Dans l’article The inside story of Facebook Marketplace, celle qui a oeuvré à la création de Facebook Marketplace explique : “We debated for some time and finally decided that having a tab in the largest app in the world was preferable to having a separate app. The good news was that Mark [Zuckerberg] wanted to make space for more “jobs to be done” in the app by adding new tabs”. À chaque création de nouveau service, Facebook se pose ainsi la question de l’intégrer directement dans son application (avec son système de gestion dynamique des onglets) ou de créer une nouvelle app. Mais tous les services ne s’intègrent pas forcément de manière pertinente dans une seule et unique application, et les autorités de la concurrence vont devenir de plus en plus regardantes vis-à-vis de la position dominante des géants de la Tech.
🇪🇺 Une nouvelle version du Digital Services Act (DSA) vient d’être adopté par le Parlement européen
Ce texte instaurera de nouvelles obligations pour les plateformes digitales (en particulier les plus grosses) contre la vente de produits illégaux, pour la modération de contenus ou encore pour la transparence des algorithmes. L’idée est de mettre fin à l’auto-régulation des plateformes, afin de réellement garantir la protection des droits fondamentaux des citoyens européens en ligne.
Les plateformes devront notamment se soumettre à des audits indépendants et partager une partie de leurs données à des chercheurs, afin de pouvoir mieux évaluer les risques qu’elles font courir à la société et l’efficacité des mesures qu’elles mettent en oeuvre. En cas d’infraction, les entreprises pourront recevoir une amende allant jusqu’à 6% de leurs revenus mondiaux.
Le texte pourra encore évoluer en passant devant le Conseil de l’UE (présidé par la France pour 6 mois) avant d’être à nouveau soumis au Parlement pour une adoption définitive. La nouvelle version contient des amendements qui risquent d’être retoqués par le Conseil, notamment concernant les dark patterns et la transparence vis-à-vis de la publicité ciblée (consentement simple et pas de cookie wall).
🚲 Un concept intéressant : Polanyi’s paradox, “we can know more than we can tell”
Nous avons de plus en plus souvent tendance à avoir une vision “dataïste” du monde, c’est-à-dire que l’on considère que l’intégralité du monde qui nous entoure peut être réduit à des données, des 1 et des 0. Si l’on ne comprend pas les lois de l’univers, c’est simplement parce que l’on n’est pas capable d’appréhender des quantités de données assez importantes.
De même, l’être humain peut parfois être perçu ni plus ni moins comme un algorithme, aussi complexe soit-il. Si cette théorie s’avère véridique, cela voudrait dire qu’il devrait être possible d’automatiser plus ou moins facilement les comportements humains, en utilisant par exemple des intelligences artificielles pour répliquer nos manières d’être et nos facultés. Il suffit d’expliquer à l’IA comment on fait.
Oui, mais… “We can know more than we can tell”. On n’est pas forcément capable d’expliquer les mécanismes à l’oeuvre derrière nos actions d’humains. Par exemple : à vélo, on arrive à pédaler, mais on ne serait pas forcément capable d'expliquer exactement les mouvements que l’on fait pour réussir à ne pas tomber. Comment amener une IA à automatiser une tâche qu’on n’est pas capable d’expliquer ?
Ces savoirs tacites, internalisés après de multiples expériences, ou simplement ancrés en nous grâce à des millénaires d’évolution biologique, forment le paradoxe de Polanyi, du nom du philosophe hongrois Michael Polanyi qui a conceptualisé cette idée en 1966 : ce n’est pas parce qu’on sait faire quelque chose qu’on sait l’expliquer à quelqu’un d’autre.
Quelles solutions ?
Premièrement, ce n’est pas parce que l’IA ne peut pas reproduire facilement notre façon de faire qu’elle ne peut pas atteindre les mêmes résultats par d’autres moyens. Puisque l’on ne sait pas lui expliquer quoi faire, on peut laisser la machine apprendre par elle-même : c’est tout le principe des méthodes de machine learning. Mais il faudra probablement à l’IA d’énormes quantités de données. Et ça marchera alors… jusqu’à ce que ça ne marche plus. Une IA fait en effet essentiellement des corrélations statistiques, elle ne se soucie pas vraiment des liens de cause à effet. Elle parvient au bon résultat mais pas forcément pour les bonnes raisons, sans comprendre “pourquoi”. Une situation inattendue ou un petit incident qui n’a jamais été rencontré jusqu’ici peut alors venir gripper le système tout entier.
Deuxième solution : puisque l’on ne sait pas expliquer à l’IA comment réagir à une infinité de situations très diverses, on va retourner le problème et plutôt simplifier l’environnement. C’est un gros risque qui nous guette aujourd’hui : on standardise le monde, on le rend plus facile à appréhender en l’aseptisant. Dans son excellent livre La fin de l’individu, le philosophe (et maintenant candidat à l’élection présidentielle) Gaspard Koenig fait le parallèle avec le métier de serveur dans un restaurant. Contrairement à ce que l’on peut penser, toutes les fonctions d’un serveur ne sont pas facilement automatisables car certaines sont très riches en “sens commun”, en intuition : un serveur doit improviser toute la journée et faire preuve d’une forte capacité d’adaptation à des interactions humaines imprévisibles, pour réagir au mieux à toutes les demandes des clients. Si l’on voulait le remplacer par une IA, il faudrait standardiser le service, et abandonner définitivement l’espoir de pouvoir remplacer les frites par de la salade. Comme le dirait Anne Hidalgo : “Quand les machines remplacent les humains, ça va pas quoi”.
Et quelques petites news, à lire en choisissant sa photo de profil hexagonale
🎬 La chronologie des médias va être à nouveau modernisée ! Un nouvel accord entre les professionnels du secteur du cinéma vient d’être signé. Les salles de cinéma conservent l’exclusivité de l’exploitation des films pendant les 3 ou 4 premiers mois. La principale évolution concerne les plateformes de SVOD comme Netflix, qui pourront désormais inclure dans leur catalogue des films français dès 15 mois après leur sortie en salles (contre 36 mois auparavant). Canal+ n’est pas en reste puisque sa fenêtre démarre aussi un peu plus tôt qu’avant.
🐦 Le jour de gloire (ou de fin de hype) des NFT semble être arrivé. Twitter permet désormais, pour ses abonnés à Twitter Blue, de choisir un NFT comme photo de profil… qui apparaîtra alors hexagonale, histoire d’envoyer un signal à ses followers. Pendant ce temps, Coinbase a annoncé qu’il allait prochainement rendre possible l’achat de NFT avec une simple carte Mastercard. Les NFT semblent définitivement reposer sur les mêmes principes de plateforme et d’effets de réseaux que les Big Tech.
👨⚖️ L’équivalent de la CNIL en Autriche a jugé que le transfert de données vers les Etats-Unis opéré par Google Analytics était contraire au RGPD, parce que la loi américaine donne le pouvoir aux autorités américaines d’accéder aux données hébergées aux Etats-Unis si elles le jugent nécessaires. Google n’a pas tardé à répliquer par communiqué de presse interposé, arguant qu’en 15 ans d’existence, Google Analytics n’a jamais reçu de demande de ce type de la part des autorités américaines. Néanmoins, cela fait plusieurs années que Google et les autres plateformes réagissent au RGPD en jouant sur les notions juridiques et en ajoutant simplement quelques lignes à leurs conditions ; ce jugement et ceux qui suivront montrent qu’elles devront bien tôt ou tard mettre en place de vraies mesures pour garantir la protection des données de leurs utilisateurs européens.
👩👩👧👧 Google abandonne sa solution FLoC censée permettre de continuer à faire du ciblage publicitaire sans cookies tiers. À la place, Google vient de dévoiler la Topics API, qui stockera dans Google Chrome une liste de quelques sujets auxquels vous vous êtes intéressés au cours des dernières semaines. Bonne nouvelle : les utilisateurs devraient pouvoir voir cette liste de topics, en supprimer certains ou simplement désactiver totalement le dispositif. Mieux : ne faudrait-il pas plutôt un consentement explicite comme le prévoit le RGPD ?
🎮 Microsoft vient d'annoncer une des plus grosses acquisitions de l’histoire des jeux vidéos : en annonçant son intention de racheter Activision Blizzard (le groupe de studios derrière Call of Duty, World of Warcraft ou encore Candy Crush), Microsoft semble vouloir étoffer son offre Xbox Game Pass, sorte de Netflix du jeu vidéo.
🛒 On continue le shopping : Frichti vient d’être acquis par Gorillas, une start-up allemande de livraison rapide de courses qui grossit à une vitesse folle. Les livreurs seront-ils mieux traités au sein du groupe Gorillas ?
Le tweet de la semaine
Elon Musk continue à raconter n’importe quoi sur Twitter.
La musique de la semaine
Tout ce qui est dit est écouté
Par les forces qui tissent la réalité
Filles et fils de la nature
Nos phrases se tassent dans la matière
Tout ce dont tu as rêvé arrivera
Merci d’avoir lu la deuxième édition de cette newsletter !
N’hésitez pas à m’envoyer vos feedbacks, et pour ceux qui sont sur Twitter, vous pouvez me retrouver ici : @LangelinAlex.
À bientôt !